Le Verre de l'Oubli

Isobel et Andrei

Ce soir-là, Isobel n'avait pas trouvé le courage de retrouver sa maison vide. Elle avait laissé ses pas la guider dans la ville comme une âme en peine en pleine errance. Elle marchait, regardait, ne cherchait rien, poursuivait son chemin. Elle était finalement arrivée bien loin de chez elle, dans un coin bien moins tranquille de la ville et avait là laissé ses pas la guider dans un bar. S'installant à une table, elle leva les yeux vers les ardoises suspendus aux mur et exposant ses nombreuses possibilité. Par habitude, elle détailla d'abord la liste des jus de fruit avant de remarquer le logo du géant industriel du jus de fruit contre lequel elle était particulièrement fâchée. Et donc, avalant n'importe quoi, son regard dévia sur les boisson alcoolisées. Elle n'avait pas du boire plus d'une verre de vin depuis l'école de commerce qui l'avait ainsi façonnée. Mais ce soir-ci, ça ne pourrait pas lui faire de mal.

Elle commanda alors une boisson forte, quelque chose qui l'aiderait à avaler les nouvelles de cette journée. Elle n'avait pas jeté un regard dans le bar, sinon elle aurait sans doute remarqué que sa joli silhouette dans son manteau rose bonbon détonnait étonnamment de la population des lieu : majoritairement masculine. Sortant son téléphone, elle tenta une nouvelle fois de composer le numéro de Donald, le personnel déjà, puis le professionnel. Mais elle tomba chaque fois sur la messagerie sans avoir la chance d'entendre le bip rassurant d'une sonnerie. Explorant ses mails, épluchant les réseaux sociaux, elle finit par ranger le smartphone à l'arrivée de sa boisson, accompagné cordialement de cacahouètes grillés dont elle n'avait pas le coeur d'éprouver la provenance auprès du serveur.

Sirotant son verre, elle prêta seulement là attention à ce qui l'entourait comme si elle reprenait contact avec le monde lentement. Les regards étaient nombreux à s'alourdir sur elle, et on se demandait bien ce qu'une jolie fille dans son genre venait à boire un verre seule en ces lieux. Une nouvelle fois, Donald se rappela alors à sa mémoire. C'était lui qui la guidait dans la rue et choisissait finalement un bar, le bar. Et ce n'était visiblement pas son fort.

Le Verre de l'Oubli

Isobel et Andrei

Andrei et l’alcool, une bien longue et triste histoire. Source de réconfort à l’origine, cela avait été son moteur, sa bouée de sauvetage après l’assassinat de son épouse. Puis, il y avait eu sa fille, et la cure. Et désormais, même s’il était sobre, il tentait d’éviter les bars comme la peste. Cela restait pour lui une tentation de tous les instants. Si ses employeurs connaissait son ancien penchant, cela ne les avait pas empêché de l’envoyer surveiller fermement ce centre du commerce et de la vente d’arme de la famille Dvorak. Une grosse transaction devait avoir lieu ce soir, et sa présence était requise pour veillée sur les entrée.

Vêtu simplement, il était monté dans le gros 4x4 noir pour tenir compagnie au cadet de la famille. Un garçon arrogant de son âge, qui devait assurer le passage et la loyauté de la famille rivale. Sa veste en cuir dénotait avec son apparence faussement négligée, sa barbe de trois jours et son air séduisant sans qu’il ne le souhaite réellement. Andrei était beau, on le lui avait toujours dit, même s’il ne l’avait pas réellement réalisé. Et lorsqu’il entra derrière le fils Dvorak, - son cousin – une des serveuses lui décocha une oeillade aguicheuse qu’il écarta d’un revers. Se positionnant dans un coin de la pièce, il se contentait d’observer tout comportement suspect.

C’est là qu’il la vit, la fille. Manteau rose et air innocent. Pas le genre de fille à côtoyer ce genre d’endroit. Pas le genre de fille à en sortir indemne. Il pinça les lèvres tandis qu’il pouvait déjà apercevoir les lourds regards sur elle. Si elle était sous sa protection, personne ne s’en prendrait à elle : et elle pourrait rentrer chez elle sans un regard en arrière.

Il s’avança donc, tirant le tabouret à côté d’elle pour s’y asseoir, commandant un simple soda d’un geste de la main avant de se pencher vers elle, déclarant d’une voix rauque :

- Vous n’êtes pas du coin. Qu'est-ce qu'une jolie fille comme vous vient faire dans un bar à cette heure ?

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Isobel et Andrei

Isobel n'appartenait pas à ce monde de la racaille et sous la protection de Donald, elle n'avait jamais eu à craindre aucun regard aussi lourd soit-il. Mais toujours était-il qu'elle savait reconnaître un danger quand elle en voyait un. Elle s'était mise dans de beaux draps... Pinçant les lèvres, elle jetait des œillades à son téléphone, s'assurant qu'il soit bien là, à porté de main si elle venait à avoir besoin d'appeler la police. Un comble quand on savait leur incapacité à retrouver son époux.

Elle avait le nez dans son verre quand on tira un siège pour s'asseoir à côté d'elle, à une distance étonnamment raisonnable mais qui la rassura. Elle leva les yeux pour découvrir un visage froid et pourtant d'une étrange douceur controversée. Un beau visage, un peu chat mouillé peut-être comme elle disait plus jeune mais charmant. Elle se mordit la langue avant de sourire de son ridicule - l'alcool n'aidant pas.

- En vérité ? J'ai vu de la lumière...

Elle perdit aussitôt de son sourire alors qu'elle dodelina de la tête en baissant le menton, la lumière, les voix aussi, elle n'en pouvait plus du silence... Elle avala une nouvelle gorgée, un peu trop grande et l'alcool vint lui brûler la gorge, dans une désagréable sensation qu'elle avait oublié. Posant son verre, elle toussa en écarquillant les yeux, le rouge lui montant aux joues en même temps qu'une vague de chaleur.

- Et on est au XXIème siècle je crois. Homme ou femme, on a bien le droit de se trouver où on veut à n'importe quelle heure, non ?

Elle n'était pas particulièrement féministe, mais l'idée qu'une femme seule dans un bar le soir puisse encore être mal vu la révoltait.

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Isobel et Andrei

Andrei avait posé sa main sur le bois crasseux du bar, jonché de quelques verres vides. La soirée était avancée, la nuit tombée depuis longtemps. Ce repaire – sans doute déjà malfamé en journée - était devenu bien plus dangereux alors qu'il savait que russes et ukrainiens traitaient les armes à la main. Les fusils chargés pouvaient tomber à tout instant, et il ne voulait pas avoir plus de sang sur les mains. Cette fille, avec son manteau rose, sa mine des hauts-quartiers, n'était qu'une innocente de plus. Une fille, une épouse, une mère peut-être ? Andrei ne voulait pas que quelqu'un puisse venir à subir une perte comme la sienne. Le visage du russe se ferma légèrement, les lèvres pincées tandis qu'il prenait une gorgée de son coca-cola. Une boisson à l'opposé de son apparence de dur, et du couteau qu'il pouvait sentir coincé contre ses côtes.

- Je n'ai pas dit que vous n'aviez pas le droit d'être là, juste que vous feriez mieux de rentrer chez vous. J'appelle un taxi pour vous, je vous le paie. Mais virez vos fesses de ce banc, et allez cuver dans votre canapé.

Il vida son verre, cherchant son téléphone portable tout en gardant un œil sur la porte du bureau de son cousin – au fond de la pièce. Si cela se passait bien, ils ne risquaient rien. Mais une parole de travers pouvait suffire à tout faire basculer. Le regard froid balaya son téléphone, cherchant le numéro d'un taxi.

- Ca se voit que vous n'avez sans doute jamais eu beaucoup d'ennuis mamzelle.

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Isobel et Andrei

Isobel avait bien compris que cet inconnu cherchait à lui éviter des ennuis. Pourtant, elle ne se sentait pas l'humeur d'une demoiselle en détresse. Elle pinça les lèvres en posant sur le comptoir de quoi payer son verre mais aussi le coca-cola - son pire ennemi -. Se redressant en arrangeant son manteau, elle planta un regard empli d'un profond désespoir dans celui de l'homme, déclarant :

- Comme on voit que vous ne savez pas parler aux femmes monsieur. Mais je n'ai pas l'intention de rentrer chez moi ce soir. Merci. Au revoir.

Récupérant ses affaires, elle se détourna, par réflexe, elle voulu appeler Donald, qu'il vienne la rejoindre... La voix chaude de sa messagerie lui fut plus douloureuse que jamais. Elle aurait explosé son téléphone contre un mur avec plaisir. Mais elle savait se tenir en public. Mais dans son geste, la photo de Donald était apparut en gros sur son écran tactile, remarqué par un gars qui s'exclama :

- Merde les gars ! C'est la femme de ce salopard de flic !

Merde, c'était le cas de le dire, Donald avait probablement enquêté sur chaque personne présente dans ce bar... Elle pinça les lèvres, peinant à assumer ce nouveau coup porté. Au les policiers n'ont jamais été très populaires dans les bas quartiers... Mais alors qu'il avait disparu...

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Isobel et Andrei

Lorsque la paume de la jeune femme déposa l'argent sur le comptoir, Andrei soupira légèrement en se redressant. Cette fille ne savait pas vraiment ce à quoi elle s'exposait. Inconsciente, butée, au désespoir. Voilà tout ce qu'il pouvait lire dans son regard tandis qu'elle le repoussait fermement. Pourtant, le russe n'ajouta rien, se contentant de la suivre du regard tandis qu'elle cherchait fébrilement son téléphone. Elle devait sans doute être plus effrayée qu'elle ne voulait le montrer... Mais lorsque la voix d'un gars s'éleva alors dans la pièce, il comprit bien vite que la situation était encore pire qu'il ne l'imaginait. S'il n'intervenait pas, elle serait dans de sales draps.

Se redressant de toute sa hauteur, sa voix tonna dans un russe parfait. Les intonations slaves menaçantes. Il était après tout un membre de la famille Dvorak, un cousin. Et beaucoup avaient du respect pour cet homme calme et efficace. Andrei vint passer un bras autour des épaules de la jeune femme, se penchant à son oreille.

- Cette fois, laissez-vous faire s'il-vous-plaît. Sinon vous ne sortirez pas vivante de cet endroit.

Il effleura sa tempe de ses lèvres avant de tourner un regard furibond sur les gars qui s'étaient redressés pour faire payer à la jeune femme la curiosité de son mari.

- Elle est avec moi, et le premier qui la touche subira un sort peu enviable. Il me suffira d'appeler Irina.

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Isobel et Andrei

Isobel s'était mordut la langue en voyant plusieurs hommes se lever d'un même geste, menaçant. Oh, il aurait été si facile de lui faire du mal pour se venger des problèmes qu'avait pu leur causer Donald. Mais le principe de ce genre de vengeance était qu'elle touche la cible... Hors, il n'y avait sans doute plus personne a toucher... Elle pourrait mourir que son époux ne répondrait pas plus au téléphone. Elle essuya la larme qui roula à cette pensée, sursauta quand elle sentit une main sur son épaule et vit apparaître le visage fermé de l'homme qui plus tôt avait voulu lui faire prendre un taxi. Il menaça, évoquant une certaine Irina. Et aussitôt, tout ces grands costauds menaçant se rassirent et tentèrent d'ignorer la blonde. Habillée comme elle l'était, leur seule certitude était qu'elle n'était pas venue là pour espionner. Alors qu'Andrei s'amuse si il le voulait.

Décontenancée, Isobel s'était laissée faire, elle ne savait plus vraiment quoi penser, les idées rendues vagues par l'alcool. Elle ne remarqua nullement plusieurs personne sortir à cet instant d'une pièce pour quitter les lieux. Un jeune homme s'arrêta d'ailleurs à leur niveau, échangeant un regard avec son sauveur avant d'opiner et de se détourner sans qu'elle ne comprenne rien de ce qu'il se passait. enfin, elle était tombée en pleine mafia, mais ça elle l'avait compris depuis quelques instants déjà... Ou non ? Elle ne savait plus vraiment.

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Isobel et Andrei

Le corps chaud contre le sien, Andrei avait assisté - avec une satisfaction palpable à la résilience de ses subordonnées. La mention d'Irina avait toujours cet effet sur la plupart des gens qui avait entendu parler de ses compétences.. Et de la mort atroce du grand parrain ukrainien : pendu avec ses propres tripes à la fenêtre de son luxueux appartement. Il soupira légèrement en serrant calmement sa prise sur le bras de la jeune femme qui n'avait pas l'air en pleine possession de ses moyens. Il allait devoir la ramener jusque chez elle – en espérant que le mari ne pose pas de questions. Il ne devait de toute façon pas être très présent pour laisser sa femme sortir dans les rues seule à cette heure.

Son cousin était alors sorti de la pièce, et ils avaient échangés un regard de connivence. Il lui laissait gérer cette affaire, ils se retrouveraient plus tard, lorsque toute cela serait réglé. Alors le russe attendit encore quelques instants avant d'entraîner doucement la jeune femme vers l'extérieur. Cherchant son 4x4 du regard, il se pencha vers elle.

- Vous n'allez pas vomir, dites-moi ? Je vais vous ramener chez vous, mais ma caisse est sacrée, je vous préviens.

Il esquissa un maigre sourire, attendant qu'elle accepte. Il ne l'emmènerait pas de force. Ce n'était pas son genre. Mais mieux valait attendre une approbation de sa part.

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Isobel et Andrei

Isobel se laissa entrainer par ce sauveur inespéré, tentant de remettre de l'ordre dans ses idées. Et nombreuses convergeaient vers la même chose : la disparition de Donald. Tout lui rappelait cet homme dont elle était tombée amoureuse et qu'elle continuait d'aimer depuis lors : de la poigne de cet inconnu sur son bras jusqu'au match de baseball en bruit de fond du bar. Elle ferma les yeux et frissonna dans son manteau quand ils franchirent la porte.

Malgré la saison, la fatigue et le chagrin frigorifiaient continuellement la jeune femme qui ne parvenait pas à ne pas frissonner. Elle sentit un souffle dans sa nuque bien avait de réaliser que l'on lui parler. Regardant alors son interlocuteur, elle pinça les lèvres :

- Je croyais vous avoir dis ne pas souhaiter rentrer chez moi ce soir...

Mais où aller alors ? Elle poussa un profond soupire en fermant les yeux, se pinçant l'arrête du nez pour réfléchir de son mieux malgré son esprit brumeux, se sentant vaseuse.

- Je tiens un commerce en ville... Pourriez-vous plutôt me conduire là s'il vous plait ?...

Le jus de carotte était sans doute mieux pour elle qu'un nouveau vers d'alcool.

Le Verre de l'Oubli

Isobel et Andrei

Andrei l'avait laissé s'appuyer contre son véhicule, ouvrant la portière à sa droite avant de soupirer en se tournant vers elle. La blonde n'était visiblement pas en pleine possession de ses moyens, mais elle restait têtue, visiblement bien décidée à ne pas regagner son domicile. Pourquoi ne pas vouloir rentrer chez elle ? Il se posait la question, toutefois il ne la formula pas à haute voix. Il ne la connaissait pas, et voulait juste la ramener en sécurité avant de reprendre le cours de sa vie. Le russe fit une légère moue, s'appuyant contre l'intérieur de la portière en la scrutant.

-Et où est-il votre commerce ? Sans adresse, je ne peux pas faire grand-chose pour vous.  

Le mafieux l'aida pourtant à s'installer à la place du passager, prenant soin à ce qu'elle ne s'assomme pas au passage. Posant sa main dans sa nuque, il attacha la ceinture de la jeune femme comme si elle était une enfant avant de fermer la portière et de s'installer au volant. La voyant frissonner, Andrei tourna le chauffage à fond espérant que cela suffise à la réchauffer - même si son manteau (d'un rose un peu surprenant) aurait dû suffire à son bonheur.  

Le mafieux tourna les clés, puis démarra calmement. Ils étaient enfin partis de cet endroit, et le russe prit grand soin de vérifier qu'ils n'étaient pas suivis avant de finalement se tourner vers elle.  

-Vous pourriez me guider peut-être ?

Le Verre de l'Oubli

Isobel et Andrei

Isobel s'installa à la place passagère sans faire davantage d'histoire. Elle était épuisée et à bout de force, grimaça un rictus quand il lui demanda l'adresse :

- Vous dites cela comme si vous connaissiez celle de mon domicile...

Mais l'ironie mourut dans sa gorge, elle essuya ses larmes en lui donnant le nom de son café et l'adresse, sa voix tremblante communiquant l'information avec un calme apparent. Elle ferma les yeux contre la vitre, observant le paysage citadin défiler sous ses yeux, jeu de lumières et de couleurs dans la nuit. Les larmes roulaient sur ses joues sans qu'elle ne le retienne plus, tout cela avait un goût d'habituel pour elle... Et pourtant... Finalement, les mots quittèrent sa bouche sans qu'elle n'en contrôle plus le flux :

- Mon époux a disparu... Cela fait une semaine... Je ne supporte plus le silence ou la pitié qui semble suivre chacun de mes pas depuis... Je ne parviens pas à me faire à cette solitude glaciale...